( Photo Pierre Planchenault )

 

Colère noire

 

est un espace sombre.
Peut-être une cave.
Dans laquelle s’infiltre la lumière de la rue.

De la rumeur.
Par un soupirail.

 

Il y a quelqu’un dans cette cave,

qui dit sombre et lumineux,
qui dit tout et rien,
qui parle seul et à tous.

 

Colère noire est un espace sombre.
Balayé de clarté.

 

Comme un Soulages qui dirait du Fontaine. 

12

 

« Ça va.

 

J’essaie de donner une forme à ma rage.

 

Si tu restes là, ce sera la tienne.

Si tu pars aussi. Fallait pas venir.

Traduis-le comme tu veux, c’est pas grave.

Ce que tu penses n’a aucune importance. Même pour toi.

De toute façon, ce que tu appelles ta pensée, c’est du jugement et moi ça ne m’intéresse pas.

 

Je ne sais plus quand c’est arrivé cette histoire.

Ça a trop duré, rien ne pousse.

Dans le jugement, y’a pas de feeling.

Ça va.

Pour jouer, je donne une forme à ma rage. »

 

 

( Colère noire extrait - Brigitte Fontaine )

( Photo Pierre Planchenault )

Colère noire / Yves Kafka / Revue du spectacle


"Colère Noire" de Frédéric Jouanlong. Tout encapuchonné de noir, un homme au bord de la crise de nerfs marmonne, grommelle, éructe sa colère noire. Sur le mur de moellons noirs de l'Atelier des Marches, un trait de lumière blanche, étroite fenêtre ouverte sur un monde clos, balaie l'espace de haut en bas, obsessionnellement, comme pour marquer la répétition de l'impossible évasion. De manière récurrente, l'homme brandit un doigt d'honneur rageur accompagnant sa harangue désarticulée, dont les mots explosifs sont comme des projectiles lancés à la face du monde indifférent.


À partir de l'opus éponyme de Brigitte Fontaine, la petite musique sourde de la révolte contenue s'enfle dans la pénombre, implose en vagues successives, pour venir se fracasser sur le mur des renoncements avilissants. Frédéric Jouanlong se fait le réceptacle de ces tensions qui déchirent "l'égaré" soumis à l'intolérance d'une société normée dont la violence sourde broie impitoyablement ceux et celles qui n'entrent pas dans le moule.

Les personnages qui l'habitent tour à tour - il est plusieurs dans sa tête - mènent combat pour leur survie tant physique que psychique. "Je n'irai pas à votre hôpital. Je n'irai pas à votre école, à votre caserne, à votre four crématoire, à votre putain d'amour." On croit entendre les accès de révolte d'un Léo Ferré chantant sublimement "Il n'y a plus rien".

Le propos est pénétrant comme une lame aiguisée déchirant le tissu des convenances bourgeoises. La scénographie sobre est aussi parlante que les toiles de Pierre Soulages jouant subtilement avec les nuances de ses "Outrenoirs". S'il y avait une réserve à émettre - mais ce n'est là qu'une étape de travail - elle se situerait au niveau de l'interprétation. En effet, l'urgence à dire ("Urgence Crier") n'apparaît pas toujours comme une évidence absolue, de même que la diction du beau texte de Brigitte Fontaine - hormis les moments où la voix s'absente intentionnellement - mériterait peut-être d'être plus probante. À suivre… Rendez-vous est pris pour la "saison chaude".


Performance musique voix théâtre.
Textes : Brigitte Fontaine.
Conception, interprétation : Frédéric Jouanlong.
Durée : 35 minutes.

Présentée aux professionnels dans le cadre d'une sortie de résidence, le vendredi 29 janvier 2021 à 15 h, à l'Atelier des Marches du Bouscat (33).

Interview live sur la page facebook Trente Trente - Les Rencontres, le 28 janvier 2021 à 13 h 30. Par Stéphanie Pichon.

Spectacle programmé les 25 et 26 juin prochains à l'Atelier des Marches du Bouscat (33), lors de la "saison chaude" du Festival Trente-Trente.